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Révolution industrielle 4.0 et destruction d’emplois

On a beaucoup entendu à l’époque, dans les années 1970,  que le succès des photocopieuses annonçait la fin du livre. Ne pas y croire relevait du déni ou de la naïveté. Il ne s’en est pourtant jamais édité autant qu’aujourd’hui. Un toutes les trente secondes environ dans le monde. Lors du décollage de la téléphonie mobile dans les années 1990, il semblait évident que cette nouveauté allait surtout impacter les entreprises et leurs ressources humaines. Pourquoi les particuliers et les ménages auraient-ils besoin d’appareils cellulaires? Ce n’est qu’au début des années 2000 que l’on s’est clairement rendu compte que c’était l’inverse qui se vérifiait. La téléphonie mobile a bien davantage changé la vie des familles, la vie privée en général que celle des entreprises. Et parmi les activités professionnelles, ce sont rarement celles auxquelles on pensait qui ont été le plus concernées.

Les effets des petites et grandes innovations (technologiques ou non) sur les comportements humains sont très difficiles à anticiper. La construction par exemple, que l’on attendait guère dans le registre des télécoms: le téléphone mobile a complètement changé l’organisation des chantiers et leur logistique. Avant, pour créer une petite entreprise de travaux, il fallait être (ou avoir) un très bon organisateur. La viabilité en dépendait. C’est beaucoup moins le cas lorsque le temps réel permet d’anticiper ou de rattraper aussi facilement les oublis et les problèmes. En fait, le smartphone a eu pour effet de baisser sensiblement la barrière d’entrée dans le secteur de la construction. Il est devenu beaucoup plus simple de se lancer qu’avant, et la disparition des micro-entreprises, tant annoncée depuis si longtemps, ne s’est toujours pas produite.

En fait d’imprévisibilité dans les applications d’innovations, on pourrait encore mentionner le cas du café portionné. Au départ, ce sont les cafétérias d’entreprises que le concept Nespresso ciblait. Ce sont pourtant les ménages qui ont fait l’immense succès du concept. Sans parler de la révolution internet et de sa puissante messagerie instantanée: elles ont complètement changé le monde du travail dans son ensemble et en profondeur, mais pas du tout anéanti les activités de services (comme ce fut beaucoup prophétisé). Depuis deux cents ans, bien des nouvelles technologies ont d’ailleurs donné l’impression qu’elles allaient rendre le travail inutile. Il n’y a jamais eu autant de personnes actives en Suisse ni dans le monde. Et il n’est toujours pas absolument nécessaire d’être ingénieur pour trouver un job.

C’est pour cela qu’il faut être prudent avec les futurs effets de la révolution dite «industrie 4.0» sur l’emploi. Ils ne sont certainement pas aussi prévisibles qu’annoncé. Il y aura certainement des effets, mais plus l’on pense qu’ils seront énormes, plus il faut être prudent sur leur qualification. Des métiers et des emplois vont disparaître. Dans quels domaines au juste? D’ailleurs, quels domaines seront particulièrement impactés? Des usines sans ouvriers existent déjà. Depuis longtemps et pas seulement dans l’industrie de l’automobile. Et les économies nationales les plus actives dans l’industrie de l’automobile ne sont apparemment pas celles qui ont les problèmes d’emploi les plus graves.

Imaginons qu’il n’y ait plus que des usines sans ouvriers (c’est précisément ce que l’on nous demande d’imaginer aujourd’hui). Cela ne veut pas encore dire qu’il n’y aura plus que des actionnaires pour encaisser des dividendes, payer des impôts, et l’Etat pour distribuer des salaires. Lorsque l’esclavage et la servitude ont commencé à disparaitre, ou de menacer de disparaître, il s’est aussi trouvé des commentateurs pour annoncer la fin de l’économie et de la civilisation. Le monde allait cesser de travailler et tomber dans l’avilissement. En fait, c’est une autre économie et une autre civilisation qui se sont progressivement mis en place. Les projections sociétales (et sociales) de l’époque des grandes expositions universelles (entre le XIXe et le XXe siècle) ne sont-elles pas également très, très éloignées du monde actuel? Science fiction et fantastique mis à part, dans lesquels la pesanteur a en général disparu, il est très difficile d’imaginer un monde sur des bases profondément différentes. Nous sommes dans le vivant, l’infinie complexité, le chaos, le battement d’aile du papillon, le règne de l’imprévisible au-delà des trois à cinq ans.

Solennellement consacrées par Klaus Schwab lors du dernier Symposium de Davos, les prévisions alarmantes sur l’industrie 4.0 et l’emploi relèvent en fait de la simple extrapolation: dans les conditions économiques et sociales actuelles, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, une transformation de cette ampleur aurait probablement ce genre d’effet globalement destructeur. Mais l’industrie 4.0 ne va pas se répandre, puis se généraliser d’un coup dans le monde tel qu’il est. Les réponses et grands ajustements ne viendront pas non plus en premier lieu de l’Etat, d’en haut, mais des individus, des réseaux humains informels, des entreprises elles-mêmes. 90% peut-être des activités économiques actuelles dans le monde n’ont pas été anticipées, ni même imaginées il y a deux ou trois générations. Si la révolution industrielle digitale se réalise dans les proportions que l’on évoque aujourd’hui, il s’agira bien d’un changement de paradigme au sens non galvaudé du terme (et avant qu’il soit remplacé par la disruption). Un changement tellement radical, avec des implications tellement vastes qu’il est à peu près un impossible d’en dire quelque chose de fiable à ce stade.


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